Article écrit pour le N° 36 d’Expression Cosmétique
BOIS, PRIE, AIME. A l’image du best-seller d’Elizabeth Gilbert, les notes boisées s’installent dans le paysage olfactif comme un facteur clé de succès. Effet de mode ou enthousiasme durable ? Est-ce de nouvelles variétés qui inspirent les parfumeurs ? ou de nouveaux traitements de la matière qui orientent les créations vers ces notes chaudes et rassurantes ?
L’analyse des nouveautés en parfumerie masculine montre une augmentation notable de la famille boisée entre 2014 et 2015. « L’équilibre historique entre les différentes familles (boisées, orientales, hespéridées et fougères) est cette année bousculé ; les boisés prennent le dessus passant de 23% à 43% en nombre de lancements », note Maryline Bonnard, chasseuse de tendances chez Le Musc & la Plume. Une évolution que l’on note davantage sur le marché masculin que sur le féminin, consacré aux fleurs.
C’est également le constat que font certains distributeurs : « La domination des bois dans la parfumerie continue d’augmenter et s’oriente vers des bois sombres et fumés, poussés par le marché du Moyen-Orient », observe Ryan Liegner, Responsable Marketing chez Berjé, distributeur mondiale d’huiles essentielles et de produits chimiques aromatiques.

Que recherche-ton à travers ces notes boisées ?
Les notes boisées restent la valeur sûre dans la palette du parfumeur. « Ils ont quelque chose d’universel » explique Oliver Pescheux, Parfumeur Givaudan. « Les bois nous promettent de l’authentique, un retour aux sources, comme le slogan « Mangez des pommes » pouvaient à l’époque toucher une corde sensible. »
Cet engouement est fortement poussé par la demande du Moyen-Orient, friand de notes puissantes et rémanentes mais également par le succès de grands parfums boisés : One Million et Invictus de Paco Rabanne, chefs de fil de nouvelles interprétations de bois. Universalité mais également richesse complète Hervé Fretay, Directeur des ingrédients naturels chez Givaudan, dans les possibilités offertes aux parfumeurs : naturels, synthétiques, spécialités, la famille boisée est très pourvue. « ils apportent une présence à travers la colonne vertébrale du parfum, contrairement à d’autres matières, ils agissent à tous les niveaux : en tête, en cœur et en fond du parfum ; ils font le lien entre la terre et les fleurs. »
Clairs, transparents, ou sombres, les bois teintent la composition de différentes nuances. La notion de bois blanc se répand invoquant « le côté onctueux du santal, le caractère pur du cèdre à opposer aux bois plus sombres que constituent le vétiver, le patchouli ou le papyrus », explique Jérôme Epinette, Parfumeur chez Robertet. Alexis Dadier, Parfumeur chez IFF relève « l’aspect propre » que peuvent évoquer les bois blancs, contrairement aux notes plus animales. « Quand on dit blanc, on minimise la puissance d’une matière, c’est une façon de l’adoucir. » conclue Olivier Pescheux.
Le bois peut-il évoquer d’autres couleurs ? « Une étude menée dans le cadre du programme Scent Emotion chez IFF a révélé que le cashméran était associé par le panel à la couleur bleue » raconte Alexis Dadier. L’association à une couleur inattendue peut apporter un peu de poésie, telle l’Eau de Cartier Vétiver Bleu.
Certes, les bois apportent une certaine direction olfactive mais ils peuvent aussi être utilisés comme note technique, pour apporter un certain effet à la composition. De la sécheresse (cèdre, bois ambrés stridents), de l’humidité (mousse de chêne, patchouli), une texture résinée (pin, fir balsam) aux accents frais. Les bois apportent texture et profondeur aux créations.
Palmarès des bois 2015
On dit que derrière chaque grand parfum se cache une nouvelle matière première. Est-ce le cas pour les bois, avons-nous de nouveaux ingrédients pour stimuler la créativité ?
Explorer de nouveaux territoires, rapporter de nouvelles espèces odorantes des quatre coins du monde ou extraire le bois d’arbres connus comme le pécher, l’oranger amer, ou le bois d’Ylang Ylang enthousiasmerait Olivier Pescheux. Il semble qu’une autre piste soit davantage explorée : « capturer les effluves de nouvelles espèces par headspace, comme l’Hinoki (cyprès du Japon), ou le bois d’Okoumé permet d’innover tout en préservant les espèces », explique Hervé Fretay.
EN 2015, la recrudescence des bois rime davantage avec classicisme. Vétiver, cèdre, patchouli sont toujours bien présents dans les dossiers de presse, soulignant leur caractère indémodable de ces grands classiques.
- Le Vétiver, le romantisme
Alexis Dadier apprécie particulièrement « cette matière unique entre air et terre. Le vétiver, à la fois aérien et racinaire entretient un certain mystère entre fraîcheur et élégance. Aujourd’hui on peut travailler avec des cœurs de vétiver, à l’utilisation plus facile le vétiver original et brut peut parfois signer un peu trop ». « Les distillations moléculaires de vétiver permettent d’avoir une très belle qualité comme celle de Vétiveryo de diptyque, utilisée en overdose à 25% », explique Olivier Pescheux.
Les vétivers de 2015 illustrent bien cette ambivalence. Traités tout en fraîcheur, on appréciera l’association du vétiver avec un accord hespéridé aromatique pour Vétyver Le Galion. Fraîcheur et rémanence caractérisent le Mythique Vétiver de Mizensir ; l’Eau de Cartier Vétiver Bleu propose une interprétation de la matière rafraîchie par la menthe. Tandis que Jérôme Epinette a choisi de le traiter avec des nuances plus chaudes : vétiver- gaïac fumé et tabacé, pour Westbrook de Byredo.
- Santal, un parfum d’exotisme
Le santal effectue son grand retour en mode naturel, renouant avec son origine : le Santalum Album, gras, chaud, sensuel et enveloppant. Pendant longtemps, la recherche s’est appliquée à pallier les pénuries, proposant des molécules variées en fonction des profils olfactifs recherchés. Le prix du santal de synthèse a permis de l’intégrer dans la détergence, avec un effet positif de rémanence sur le linge. Aujourd’hui le santal naturel revient avec d’autres provenances : Australie ou autre. Pour Santal Royal Guerlain revendique un partenariat avec un exploitant forestier confidentiel d’Asie. Lalique Living propose un santal enveloppant et vanillé travaillé au féminin, en contraste avec un départ frais et aromatique.
Après la « rondeur du santal, le cèdre va apporter davantage de verticalité » explique Olivier Pescheux. « On y trouve le Cèdre de Virginie et du Texas, aux notes de mine de crayons, et le cèdre Atlas au notes animales et cuirées. Dans cet esprit sec et poudré, Electric Wood, Room 1015 retranscrit l’idée de bois de guitare électrique de l’emblématique Gibson. Cèdre Atlas d’Atelier Cologne, revisite le cèdre par un contraste avec des notes fruitées. La nouveauté intervient là encore dans le traitement du bois : « Le cèdre peut parfois avoir une tête difficile, le fractionnement permet de moderniser le bois, sans avoir le côté crayon dérangeant. » note Olivier Pescheux. De nombreux cœurs sont également proposés chez Robertet et des co-distillations comme le Bois d’Encens, Spécialité naturelle obtenue à partir d’une co-extraction d’un extrait d’encens avec de l’essence de cèdre Virginie. Le cèdre a la particularité de créer des réactions lors de l’extraction qui modifient l’odeur du produit.
- Patchouli, le roman historique
De nombreux chypres ont fait leur apparition en 2015, emportant avec eux cette matière star pour habiller un accord floral. « On appréciera alors le patchouli cœur qui laissera plus de place aux fleurs et aux fruits », précise Alexis Dadier . En mode chyprée : la Panthère extrait, Sisley Soir d’Orient, Colony et l’Heure attendue de Patou ; One Love Scherrer, Signorina Eleganza Ferragamo. Pour Oliver Peoples de Byredo : Jérôme Epinette a pris le parti de travailler « un patchouli très frais, très citrus. » En fraîcheur également le Blasted Health de Penhaligon’s qui mêle la pureté du Clearwood® à l’essence de patchouli.
On imaginait que la mode du oud s’étiolerait, il n’en est rien. Cette note, devenue une famille, s’installe à part entière comme une structure type au même titre que l’oriental ou le chypre. Qu’il soit à la mode occidentale (avec un accord patchouli, cypriol, castoreum, costus) où plus typé Moyen-Orient, très animal et naturel, cette note « titille une partie de notre cerveau avec un côté addictif », explique Olivier Pescheux. A citer Bois d’Oud Miller Harris, Oud Satin Mood Francis Kurkdjian, 1001 Ouds,Oud Couture, Carolina Herrera, Another Oud, Juliette has a gun, Oud Saphir, Atelier Cologne)
Une alternative au oud, le bois de gaïac habille Miksado Jeroboam, Gaïac Mystique Givenchy, deux boisés cuirés fumés.
- Bois ambrés, ou la twittérature
Issus de la recherche, préemptés pour leur qualité rémanente, ces bois ont envahi les compositions masculines et maintenant les féminines. Puissants et garants d’un sillage identifiable, ils sont devenus « la clé d’un succès de masse » explique Alexis Dadier qui distingue deux catégories dans cette famille : « les boisés ambrés doux (Ambroxan, Iso E Super), enveloppants et musqués » traités dans l’Accord Illicite de Givenchy alliant patchouli, vanille, bois ambrés et muscs. « Et d’autre part, les ambrés secs et vibrants comme l’Amber Xtreme™, ils enlèvent le côté langoureux d’une vanille ou des notes gourmandes. Ils donnent le vibrato d’une voix lyrique car ils sortent tout de suite en tête ». Dans l’Ambre Tigré de Givenchy, ils modernisent l’interprétation de l’historique base Ambre 83. Jérôme Epinette les emploie pour leur modernité, et leur fraîcheur, « ce sont des notes très fusantes, très volatiles qui liftent la fragrance ; et en même temps, ils boostent les notes de fond tout en habillant le caractère brut des bois naturels. »
Olivier Pescheux aiment les assimiler à une « une flèche qui traverse le parfum » un dynamisme qu’il a intégré dans Kouros Silver, 30% de bois secs et santalés répartis sur une dizaine de produits, interprétés comme des octaves car chacun va jouer sur des facettes différentes : « L’ISO E apportera de la transparence, l’OKoumal® sa vibrance, l’Amberkétal® se révèlera sur peau, l’Ambermax® fera « boum » et ainsi de suite » Une puissance au goût du consommateur, mais qu’il faut savoir doser « Les gens ont une sensibilité différente pour apprécier ces bois. » admet le parfumeur.
Bois et Réflexion environnementale
- Ethical Sourcing et nouveaux terroirs
Toujours dans le souci de préserver les ressources, chaque société de composition a maintenant établi son programme de sourcing, établissant un lien direct avec les producteurs. Une tendance confirmée par Mario di Lallo, Directeur des Produits chez TFS « durant les 18 derniers mois, nous notons une demande croissante sur le santal, les clients sont plus soucieux de d’utiliser des ingrédients durables et recherchent davantage de bois précieux ». Via le programme Ethical Sourcing, Givaudan, source du vétiver d’Haïti, du patchouli de Bornéo et Sulawesi et du santal d’Australie. Robertet est ainsi également présent à Haïti et en Nouvelle Calédonie ; tandis qu’IFF-LMR vient de faire certifier sa démarche autour du vétiver d’Haïti par l’organisme IMOSwiss AG.
Une autre façon d’innover : transporter des variétés sur un autre terroir. C’est le cas du santal, dont la source indienne a pratiquement disparu. Le santal de Mysore a longtemps souffert du braconnage et de la déforestation, il a fallu trouver de nouvelles pistes.
La société Santanol, une des sociétés leaders dans la plantation de santal indien en Australie, propose ainsi une approche éthique, écologique, légal, et durable pour le santal. « Propriétaire de 2300 hectares, la société plante, élève et récolte cet arbre parasite qui se nourrit d’autres arbres pour pousser. On plante ainsi 2 arbres lorsqu’on plante un santal », explique Rémi Cléro, Directeur Général Santanol. « Les parcelles sont organisées pour cultiver des arbres d’âges différents, pérennisant ainsi le future de ses récoltes. Et de qualité différentes en fonction de l’exposition, assurant un large choix de santal et de prix. »
TFS met également en valeur l’aspect écologique, la compagnie produit du santal australien et indien avec de l’énergie renouvelable et recycle son eau.
- Travaux issus de la biotechnologie
« La biotechnologie ouvre de nouvelles voix », explique Hervé Fretay, « ces travaux qui étaient initiés dès Roure et se sont complétés avec le rachat en 2014 de Soliance, experts en fermentation et en 2015 d’Induchem, experts en réactions enzymatiques. » Le développement de l’Akigalawood® s’inscrit dans ces travaux : « il s’agit d’une réaction enzymatique sur un fractionnement de patchouli : on modifie la structure du bois pour l’enrichir et apporter une vibration spécifique et épicée au patchouli. »
Firmenich a également lancé le Clearwood®, ingrédient naturel, issu de la biotechnologie blanche, et utilisant une source renouvelable : le sucre de canne, qui donne une note boisée de patchouli, plus transparente et moderne, contenant 30% de patchoulol.
Demain, quelle écriture pour les boisés ?
Travailler différemment la matière au niveau de l’ingrédient, par fractionnement, la mise en valeur de nouvelles facettes, la découverte de nouvelles provenances constituent une bonne façon de revisiter les grands classiques. « On a fait le tour des grands bois, maintenant, c’est en profondeur que l’on étudie chaque bois, le traitement d’une matière donne un nouveau souffle à la parfumerie », s’enthousiasme Jérôme Epinette.
Il existe une autre voix : celle de la formulation, twister l’ingrédient par des accords inédits. Dans le passé, le bois de santal ou le oud pourrait rester seul comme un caractère olfactif unique, mais aujourd’hui, il nous est de plus en plus demandé de mettre en synergie les bois avec d’autres matériaux dans des accords tels que; « Ylang de bois de santal » ou « vétiver rose » afin d’apporter une autre dimension, de la texture de ces notes chaudes et sensuelles, note Ryan Liegner. Alexis Dadier propose de travailler davantage le bois au féminin : « un vétiver-rose, un vétiver pour femme, pour effectuer un nouveau chypre »?
Cette structure inspire également Olivier Pescheux, « Le chypre est tout de suite daté par la mousse de chêne. Avec la législation qui nous laisse un peu de répit, ce serait un challenge d’arriver à faire un nouveau chypre avec cette matière ».
Enfin, une dernière voie qui n’a pas été encore exploitée : travailler sur les vertus des bois ? propose Olivier Pescheux. « Effectivement », confirme Rémi Cléro, « le santal possède des vertus anti-inflammatoires qu’il serait intéressant d’exploiter ».
Naturel, synthétique ou actif, le bois n’a pas fini de nous insuffler ses notes spirituelles et séductrices pour créer de nouveaux best-sellers. Prions et aimons donc…