S21, ou l’odeur de la mort

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La cour de l’école est en travaux, « quelques installations sont en cours? » pourrait-on s’imaginer… Mais les barbelés qui entourent l’enceinte des bâtiments, et cette phrase prononcée en début de la visite vous ramènent vite à la réalité.

« Dès l’approche du lieu, on pouvait sentir l’odeur de charnier… »

Nous sommes à S21, la prison/centre de torture et d’exécution de l’Angkar, organisation des Khmers rouges.

La visite commence par cette cour, autrefois la cour de récréation du lycée qui avait été construit par les français. Au centre on y trouve ces jarres qui pourraient accueillir d’immenses fleurs mais non, elles étaient destinées à réveiller les torturés attachés pieds en l’air à la potence. Les jarres contenaient de l’eau puante utilisée comme engrais pour les plantes de la terrasse. Les victimes reprenaient conscience et l’interrogatoire pouvait recommmencer…

Odeur de sang

À côté des jarres : 14 tombes correspondant aux 14 dernières victimes des khmers rouges avant les Vietnamiens délivrent Phnom Penh. Le bâtiment A montre les photos très crues de leur mort à coup de pioche et pelle afin d’économiser les balles.

Les derniers khmers rouges n’ont pas eu le temps de brûler toutes les archives ; les prisonniers étaient obsessionnellement répertoriés et photographiés. On déambule parmi ces allées de photos de victimes et de bourreaux qui se font étrangement face et que seuls les bérets et les étiquettes de prisonniers distinguent. J’imagine l’effroi d’un cambodgien qui regarde un à un ces visages à la recherche d’un parent, d’un enfant ou d’une sœur disparus. Certains montrent la peur, d’autres la colère ; une femme sourit énigmatiquement… inconscience ou pied de nez à ses tortionnaires ? On est aussi surpris de voir des visages occidentaux, comme celui de Marc Hammil, 26 ans, en voyage en bateau et attrapé par les khmers rouges dans les eaux cambodgiennes. On entend le témoignage touchant de son frère au procès de Douch, le directeur de la prison. Il rend hommage à l’humour de son frère qui accusé d’être agent de la CIA et torturé plus de deux mois a donné comme nom de suspects le « Colonel Sanders », fondateur du KFC, et le « Captain Pepper » référence aux Beatles…

Sueur, urine et sang, odeur de la dignité humaine.

La visite de poursuit avec la visite des minuscules cellules aux murs montés grossièrement pour séparer les prisonniers attachés par le pied. Bou Meng l’un des 11 survivants (sur 15 à 20 000 morts…) raconte qu’il devait uriner dans une boîte sans renverser une goutte au risque de devoir la lécher. Les tableaux de Vann Nath, autre survivant, témoignent des tortures subies, et illustrent à quoi servaient les instruments disposés à côté de ses tableaux.

La visite se termine par des messages de paix et d’espoir. Bou Meng et un autre survivant sont d’ailleurs là à la sortie pour témoigner et parler aux visiteurs. Le pays se reconstruit lentement mêlant au quotidien anciens khmers rouges et victimes, un difficile équilibre entre mémoire et pardon. Aujourd’hui de nouvelles odeurs envahissent les rues de Phnom Penh : sauce à huîtres, citronnelle, ananas et mangues fraîches, des odeurs de vie balaient les odeurs du passé. À nous de toutes les garder en mémoire…

 

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